Chess (Solitraitre) [Pris]

C'était King et Queen au début. Deux personnages illusoires, qui avaient promis l'utopie au reste de leur troupe. Ils n'avaient aucun droit. Aucun qui puisse les tirer de ce merdier. Alors pour sauver la tête de leur fille, ils décidèrent de s'attaquer directement à leur peuple: Leurs croyances. D'abord en tentant de les embobiner, leur discours prit fin sur leur tête qui tombât. C'était une monarchie: Si le prince ou la princesse devenait mature, on faisait tomber les parents pour les monter sur le trône. Quelle idée saugrenue, me direz-vous. Eh bien non: De ce fait, la société demeurait parfaite. Il n'y avait jamais plus haut que le plus haut lui-même. Les hérétiques, eux, étaient tués. Assassinés, portés comme un exemple. Ceux qui ne croyaient pas aux Supérieurs voyaient leur tête tomber. On décorait, parfois oui, parfois non, on se parait de leurs organes. Quelques hauts gradés, comme le Chaperon, portait les yeux de la reine en collier. C'est sous paysages sanguinolents que trônait la nouvelle couronnée. Sœur de désormais défunts ( car aussitôt couronnée, il fallait tuer ceux de son sang qui ne la méritait pas ), La Nouvelle dût se faire enseigner par le Chaperon. Elle eut ses enfants, elle aussi. Lorsqu'ils atteignirent un certain âge, sa tête tomba, elle aussi. Les triplés durent se battre pour gagner le trône, juché désormais sur une pile de cadavres. Et encore, ses enfants à lui firent la même chose, versant le sang sur des terres dites sacrées, dérobées à une meute oisive qui ne croyait en rien. Car en effet, le pilier de Bonesyard, c'est leur croyance. Le destin est tout tracé sur leur chemin. Chaque rencontre tire de la providence. Chaque pion est sur échiquier. Chaque pantin est entrelacé par des cordes, tirés par un Absolu qui les guide. Ah, des croyances bidons. Personne n'y croyait: Pas même le roi, pas même la reine. Même le Chaperon, et son fils après, et son fils après, et son fils après, n'y croyaient pas. Mais leur vie, tissée déjà dans le mensonge prenait un tournant radical. Il était normal de mourir, à Bonesyard. Ah mais, ne l'appelait-t-on pas Bonesyard? Un champ d'os? Un champ décimé d'os d'antan personnages qui furent, ne serais-ce que furtivement, souverain d'un empire qui courait à sa propre perte?

On en inventait des sornettes, on les écoutait, on les buvait, on les savourait. Et on les mettait à exécution.

Je ne me rappelle plus combien d'histoires j'ai écouté. Je sais que, sur plusieurs générations, on me décrivait les carnages qui suivaient comme des libérations. « Leurs âmes libérées s'introduisirent dans les nouveaux corps ». «Ah bon? leur ais-je dit, ce qui veut dire que les âmes des rois et reines s'introduisirent eux-aussi dans le corps des autres? ». Silence. Le Chaperon 10e, qu'y s'appelait. Il me regarde avec deux yeux l'air de dire « Oops Problème ». Et c'est de la que ça a parti. Toute cette grosse entourloupette de poltrons qui veulent être décalés des autres. Et vous voulez que je vous dise? Ça a marché. Ces imbéciles ont marché dans ce que j'avais, moi, simple serviteur, proposé. Et ça a fait effet boule de neige. On ne laissait plus les portées s'auto-détruire, on les fracassait: On choisissait, à l'âge mature, celui qui avait hérité de l'âme de l'alpha précédent, qui lui même, avait hérité de l'alpha précédent, et ainsi de suite. On poussa la plaisanterie de mauvais goût plus loin. À un autre niveau. Chaque alpha était obligé de rester avec son âme sœur. Et à chaque fois, le duo devait partir, quitter leur meute précédente, pour aller en fonder une autre. Ajoutant au sinistre, ces mêmes êtres devaient se trouver des partenaires... Et copuler. Leur but? Procréer une société parfaite, construire une troupe d'être parfaits, qui héritaient, à chaque fois, de « l'Âme des Supérieurs. » On leur donnait beaucoup de noms. L'Âme des Entités, l'Âme des Rois et Reines, L'Esprit Versatile... L'Âme Sœur. Ainsi, les deux Âmes sœurs devaient vivre, perdre leur tête, laisser au Chaperon qui suivait le rôle de trouver l'âme sœur, les exclure, procréer, perdre leur tête, laisser au Chaperon qui les suivait le rôle de trouver l'âme sœur... Cette façon de penser ne s'est pas détériorée depuis. Vivant dans le mensonge de la monarchie, les habitants de Bonesyard s'étaient abrutis à leurs croyances.

Et moi, maudis-je mon âme, j'avais amorcé ce processus délibérément. Et c'est là que commence leur histoire. J'écris, lentement, ces mots, sans me rendre compte de l'impact que ça fera. Je suis un esclave de la famille royale depuis maintes générations, et je ne— merde.

Je m'égare, je suis désolé.

Bonesyard est là où j'ai niché. Je suis un scribe: Mes serres me permettent de prendre des plumes, de les ajuster à une fleur, d'en extraire le nectar,... d'écrire. J'ai suivi à la lettre la vie des autres. On limitait la consanguinité. Ça enlevait de la pureté à la race parfaite, disait-t-on. Alors l'âme, soudain, elle décidait d'intégrer le corps de d'autres. Que ce soit l'esclave, qui possédait un corps rachitique; que ce soit le paysan, mal-nourri, mais qui possédait de l'intelligence; que ce soit le bourgeois, qui savait exactement quoi dire pour que le peuple tombe à ses pieds... On les écoutait tous. Aussitôt que la chaperon les pointait, c'était noté, gravé dans notre mémoire. Ils devenaient les nouveaux souverains. Et on devait les écouter, et on devait leur obéir. Et si une personne claudiquait derrière? On la tuait. Et ensuite? On la dévorait. Mais c'était monnaie courante, à Bonesyard. C'était normal. Il n'y avait rien de mauvais dans « éliminer les faibles ».
Et sur cette mentalité que je débute un autre récit.
de Briskpace et de Foulstench, des paysans, naquirent Wind, Breeze, Hurricane et Squall. Squall fut choisie comme héritière, faisant ainsi tomber la tête des trois autres. Le Chaperon désigna son fils, un futur Chaperon, comme « Réincarnation de l'ancien Roi. ». Ces deux êtres, forcés à finir ensemble par le biais d'être âme-sœurs, durent vivre en taisant leur haine. Et croyez-en mon expertise, ils se haïssaient. Ils devaient pourtant fonder une famille, créer la société. Ils furent laissé à eux mêmes. Le Chaperon les suivait ( et moi aussi, sinon, je n'aurais rien pu écrire! ). Leur première portée mourra. On ne comprit pas pourquoi (Mais moi je savais, ils savaient tous. Il se fermaient les yeux, c'est tout ). Leur deuxième portée... Mit bas à un éventail de nouvelles cartes: Spades, Heart, Clover et Diamond. Le chaperon voyait en elles tout leur potentiel. Il ne savait pas lequel choisir au début. Qui avait hérité de l'âme? On les voyait grandir. C'est deux mois suivant leurs naissance qu'un couple anonyme apporta des jumeaux. Ils n'avaient pas de nom. Cards et Chess, qu'on les appela. Il fallait faire concept. La première troupe se leva enfin à un an. Le Chaperon avait déjà choisi. L'Âme se trouvait dans le corps de Heart. Alors ses frères et sœurs furent exécutés devant ses yeux. C'était un honneur, qu'ils disaient. Un honneur de voir le reste de la portée mourir. Et elle regardait, de marbre, ses frères et sœurs perdre leur tête. Le Chaperon avait cet espèce de sourire aux lèvres. Comme s'il trouvait jouissif l'idée de tuer de jeunes adultes. Vint ensuite à Chess et Cards, les jumeaux. Là, il parut dubitatif: Des jumeaux? Comment les départager? Il fallait aller à celui qui était le plus mature. Cards. Cards avait été choisi, c'était l'âme sœur de Heart, désormais. Aux yeux de toute la meute, c'était eux qui allaient diriger. Et je dois vous dire, que ces gamins, ils sont pas ordinaires. Étant fils d'un fils de Chaperon, ils ont été entraînés, dès leur jeune âge, à survivre dans des conditions extrêmes. Leurs capacités cognitives ce sont tant développés qu'on aurait pu les comparer à des adultes, et ce, seulement à six mois. Ils étaient forts, sans extrêmes, mais forts. Je suis même dégouté de décrire à quel point leur force me subjugue. Cards tirait sa technique de la chance; Chess, lui, de la stratégie. Vraiment, ils portaient des noms qui leur allait à merveille. Trop à merveille.

J'en frémis les plumes en m'imaginant la suite. Je vous avais prévenu: L'héritage de Bonesyard donnait naissance à des mentalités qui surpassaient même ceux qui les avait créés. Heart avait été choisie, de même que Cards. Et il se trouvait que si Cards possédait la foi et l'honnêteté, Chess, lui, possédait le contraire. Il croissait, envieux de ce soi-disant ainé qui allait tout posséder. Qui allait, à sa place, devenir un roi. Et qui allait aussi prendre la chose qui était le plus cher à ses yeux. La fille? Il s'en balançait. La vie, plutôt. Chess voulait vivre. Et sa malveillance s'est accrut lorsqu'un soir, il s'était étendu auprès de Cards, le lorgnant d'un œil répugné. Je ne me rappelle plus exactement des mots exacts de leur altercation. Mais je sais que lorsque L'Héritier se retourna, Chess passa à l'action. Ses yeux avaient lui d'une lueur démentielle. Puis, sans vergogne, il a planté ses crocs dans sa gorge, en y extirpant les tripes qui s'écoulèrent de partout. Un râle de douleur s'éleva dans la nuit, une protestation, un coup. Une immense cicatrice au visage de l'assassin. Toute la meute se précipita vers le carnage. On voyait les deux jumeaux, maculés de sang. Un au sol, l'autre debout.

Le Chaperon fulmine de rage. Il s'apprête à châtier le jeune comme il se doit, mais ce dernier ne semble pas effrayé par le comportement violent de son supérieur. Au contraire, ce geste leva en lui un sourire,... un sourire dément. Le Chaperon s'interrompit dans son geste, en ne laissant tomber aucun coup sur Chess.
- « Tu sais très bien qu'il héritait de l'âme sœur de Heart. Qu'est-ce qui t'as pris? »
Aucune réponse. Il n'avait même pas cillé, portant son regard glacial dans celui du chaperon.
- « Tu as réexpédié l'âme sœur dans un autre corps... En as-tu conscience? »
- « Quelle fermeture d'esprit. » cingla l'autre dans un rire mauvais.
- « Excuse-moi? »
Chess s'était approché
- « Jamais l'idée de détruire Bonesyard de sa perfection ne m'est venue à l'esprit. Je lui ai épargné les sévisses d'un parasite. »
- « Mais l'Âme... » gromella le Chaperon en montrant ses crocs.
Chess haussa les épaules, condescendant.
- « Vous savez comme moi que ce n'est pas vrai. »
Des murmures affolés se levèrent dans la foule qui s'était accrue. Les âmes ne seraient qu'un prétexte? Oui, mais le petit avait plus d'un tour dans son sac. Au lieu de briser Bonesyard, de libérer les esclaves,... Il empira la situation.

Le silence du Chaperon inquiéta les anciens et les paysans. ... De même que la princesse. Il retroussa le museau. Le gosse, lui, éclata de rire.

- « L'Âme n'est pas perdue. »
Silence. Il parut plutôt satisfait d'avoir attiré l'intérêt de tous.
- « En effet, poursuivit-t-il, puisque je suis le jumeau de Cards... il ricana. La foule se tut.
- Personne n'avait réellement l'âme, entre moi et lui, le Chaperon savait que nous en possédions chacun un morceau.
Il s'accroupit, abaissant sa tête, ployant son corps dans une révérence à l'égard du Chaperon.
- Je suis donc le seul héritier de l'âme. »
Coup de théâtre. Sous les acclamations de la foule, le Chaperon ravala ses injures. Il acquiesça à la demande du nain. Lui et la Princesse partiront à l'aube pour de nouvelles terres, et pour accroître le pouvoir de Bonesyard. Comment? Comme toujours: En ayant une portée, et perdant leur tête, en donnant aux jeunes le soi-disant âme sœur, et ainsi de suite. Mais j'avais le pressentiment qu'avec ce jeune, ce ne serait pas pareil. Il avait quelque chose que les poupées et les marionnettes des précédents Chaperons n'avaient pas: Une conscience. Il faisait preuve de métacognition.

Il évaluait ses propres capacités cognitives, et évaluait aussi, non,... se comparait aux autres. Il, contrairement aux précédents jouets... Il avait conscience d'exister. Il avait conscience d'être vivant. Il se reconnaissait dans un reflet, contrairement à la princesse qui avait sitôt paniqué. Mais lui avait autre chose. Une essence de Malice.

Contrairement à toujours, le Roi n'a pas demandé de l'assistance d'un Chaperon. Ce dernier s'est offusqué, depuis toujours, un Chaperon suivait les âmes sœurs pour les guider. Au lieu de quoi, on m'immisçai, moi, à la tâche. Je serai leur scribe, leur espion, leur ennemi.

Moi, Corvus Corax, je talonnerai son épopée, écrirai chacun de ses faits et gestes. Avec un peu de chance, un jour, je serai libre.

Un jour, j'aurai un nom.